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Le 12 juin dernier, Martin Winckler (alias Marc Zaffran, MD) publiait un billet éloquent sur son blogue de Passeport santé. Il aborde le sujet des tests de dépistage qu’on nous vante et dont les médecins sont friands. Ces tests (comme la mammographie) ont la fâcheuse capacité de donner des faux positifs (c’est-à-dire de voir des maladies là où il n’y en a pas) jusqu’à 1 fois sur 3. Son texte et son argumentation: Trop de médecine et trop de hâte nuisent à la santé sont très bien faits. Je ne les referai pas.

Par contre, la polémique de la détection précoce va encore plus loin. Dans le jargon médical, on fait une équivalence entre détection précoce d’une maladie (grâce à des tests de plus en plus coûteux effectués à des stades de plus en plus hâtifs) et prévention. Pourtant les deux concepts sont aux antipodes. Lorsqu’on prévient de façon efficace, la maladie n’apparaît pas et le traitement n’est pas nécessaire. Lorsqu’on détecte une maladie, même à un stade très précoce, il est automatiquement question de traitement donc de coûts, d’effets secondaires, d’implication de la structure médicale.

Le plus gros problème, c’est que la majorité des médecins et autres intervenants de la santé hospitalière n’a aucune idée de la façon de prévenir les maladies pour lesquelles ces tests sont requis. Comme le mot prévention est politiquement rentable, et pour ne pas être en reste, ils en affublent leurs tests de détection.

Demandez à un spécialiste, gastroentérologue ou oncologue, comment prévenir le cancer colorectal. Si on ne vous parle pas de détection précoce, vous aurez probablement une réponse évasive du genre «bien manger, le thé est peut-être utile, mais rien n’est prouvé» ou une réponse ex cathedra du type, «rien ne prévient cette maladie» ou «ce genre de maladie apparaît sans crier gare». Bref, vous ne serez pas tellement plus avancé.

Pourtant, même si la donnée scientifique evidence based (basée sur des preuves) concernant la prévention n’est pas aussi précise qu’on le voudrait, plusieurs des maladies détectables (et il faut se rappeler que les tests sont au moins aussi controversés que la prévention) peuvent être prévenues grâce à une bonne compréhension des facteurs de risque.

Le cas du cancer du côlon est un bon exemple

Nous avons déjà abordé la consommation de fibres alimentaires en prévention dans Cancer du côlon: peut-on le prévenir? On sait aussi que les polypes, et éventuellement les cancers colorectaux, n’apparaissent que si l’intestin perd ses bactéries protectrices au détriment des bactéries potentiellement nocives. Le problème n’est pas lié à une bactérie pathogène, mais plutôt à un déséquilibre pathogène. Les personnes qui ont des polypes ou des cancers ont presque toutes un ratio anormal entre la famille des bifidobactéries et celle des clostridium: pas assez de bifido et trop de clostridium (pas nécessairement le C. difficile).(1) Une façon de prévenir est donc d’augmenter les apports en bifidobactéries.(2,3)

Un autre point important est l’apport en prébiotiques. Les prébiotiques font partie des fibres alimentaires, mais elles sont solubles et ont la caractéristique de nourrir les bonnes bactéries (les bifidobactéries) au détriment des mauvaises.(4-6) Les prébiotiques ont aussi 3 autres qualités encore plus importantes: (7)

1- lorsqu’ils sont digérés par les bactéries de l’intestin, les prébiotiques entrainent une libération d’acides gras à chaines courtes. Ces molécules, dont l’acide butyrique, servent de nutriments pour les cellules de la muqueuse intestinale ET, surtout, restaurent un processus nommé apoptose. L’apoptose est la mort naturelle programmée des cellules. Dans les cellules erratiques (foyer de crypte ou début de polype) et les cellules cancéreuses, cette programmation est déficiente. Comme ces cellules se reproduisent sans jamais mourir, elles finissent pas former des masses. Le processus d’apoptose est donc vital pour empêcher l’apparition de cancers. En fournissant aux bonnes bactéries de l’intestin suffisamment de nutriments prébiotiques, on stimule la production de ces acides gras à chaine courte qui procurent à la muqueuse les outils nécessaires pour se normaliser.(8)

2- Les prébiotiques et les probiotiques réduisent ensemble la production de toxines intestinales, de facteurs inflammatoires (9) et de nécrose.(10)

3- Les prébiotiques causent également l’augmentation d’autres petits acides organiques dans l’intestin, ce qui rend le pH intestinal plus acide. Cette acidité inhibe la croissance des bactéries pathogènes et est associée à une meilleure absorption des minéraux.(11)

D’autres aliments et nutriments sont utiles dans la prévention du cancer de l’intestin: le thé vert, le curcuma, le resvératrol, etc. À l’opposé, certains aliments (comme la viande rouge en excès(12)) peuvent augmenter le risque de cancer du côlon.

Bref, avant même de penser à une campagne de tests dans la population, pourquoi ne pas entreprendre une campagne de sensibilisation sur les véritables outils de prévention? La vraie prévention n’entraine que des réductions de coûts et des augmentations de la qualité de vie pour ceux qui la pratiquent. Le problème est qu’une telle campagne ne génère pas de profit corporatif… Les tests, quant à eux, peuvent entrainer des faux positifs, provoquent chez certains des états de peur et de stress indus, et la facture à payer par l’État devient astronomique. La logique derrière les tests en est une de guerre à la maladie (plutôt que d’incitation à la santé) et d’escalade de budgets.

On pourrait étudier le cas de la prévention pour plusieurs maladies. Même pour les cancers du sein et de la prostate, on possède suffisamment d’arguments scientifiques pour permettre de proposer une marche à suivre permettant d’espérer une prévention significative. 100% de prévention de la maladie est illusoire, tout comme le risque zéro (des tests, des traitements, etc.). Mais, de la même façon que le port de la ceinture de sécurité réduit de moitié les risques d’être tué ou blessé gravement lors d’un accident (13), les gestes de prévention ont un impact significatif sur la réduction des maladies, le désengorgement des urgences et, surtout, l’augmentation de la qualité de vie. Bref, on y gagne tous… sauf les corporations qui vivent des profits de la maladie.

La photo de l’appareil de tomodensitométrie provient de Wikipédia. Auteur: Raziel.

Références:

1. Scanlan PD, Shanahan F, Clune Y, Collins JK, O’Sullivan GC, O’Riordan M, Holmes E, Wang Y, Marchesi JR. Culture-independent analysis of the gut microbiota in colorectal cancer and polyposis. Environ Microbiol. 2008 Mar;10(3):789-98. Erratum in: Environ Microbiol. 2008 May;10(5):1382. PubMed PMID: 18237311.

2. de Vrese M, Schrezenmeir J. Probiotics, prebiotics, and synbiotics. Adv Biochem Eng Biotechnol. 2008;111:1-66. Review. PubMed PMID: 18461293.

3. de Roos NM, Katan MB. Effects of probiotic bacteria on diarrhea, lipid metabolism, and carcinogenesis: a review of papers published between 1988 and 1998. Am J Clin Nutr. 2000 Feb;71(2):405-11. Review. PubMed PMID: 10648252.

4. Pool-Zobel BL, Sauer J. Overview of experimental data on reduction of colorectal cancer risk by inulin-type fructans. J Nutr. 2007 Nov;137(11 Suppl):2580S-2584S. Review. PubMed PMID: 17951507.

5. Tokunaga T. Novel physiological function of fructooligosaccharides. Biofactors. 2004;21(1-4):89-94.PMID: 15630176.

6. Ramirez-Farias C, Slezak K, Fuller Z, Duncan A, Holtrop G, Louis P. Effect of inulin on the human gut microbiota: stimulation of Bifidobacterium adolescentis and Faecalibacterium prausnitzii. Br J Nutr. 2009 Feb;101(4):541-50. PMID: 18590586.

7. Scharlau D, Borowicki A, Habermann N, Hofmann T, Klenow S, Miene C, Munjal U, Stein K, Glei M. Mechanisms of primary cancer prevention by butyrate and other products formed during gut flora-mediated fermentation of dietary fibre. Mutat Res. 2009 Jul-Aug;682(1):39-53. Epub 2009 Apr 19. Review. PubMed PMID: 19383551.

8. Menanteau J, Pierre F, Bassonga E, Forest V, Bornet F, Perrin P, Meflah K. Indigestible carbohydrates which reduce colon tumour incidence in Min mice may interfere with the local immune response. IARC Sci Publ. 2002;156:391-2.

9. Schiffrin EJ, Thomas DR, Kumar VB, Brown C, Hager C, Van’t Hof MA, Morley JE, Guigoz Y. Systemic inflammatory markers in older persons: the effect of oral nutritional supplementation with prebiotics. J Nutr Health Aging. 2007 Nov-Dec;11(6):475-9. PMID: 17985062.

10. Rafter J, Bennett M, Caderni M, et al. Dietary synbiotics reduce cancer risk factors in polypectomized and colon cancer patients. Am J Clin Nutr 2007;85: 488–96.

11. Tahiri M, Tressol JC, Arnaud J, Bornet F, Bouteloup-Demange C, Feillet-Coudray C, Ducros V, Pépin D, Brouns F, Rayssiguier AM, Coudray C. Five-week intake of short-chain fructo-oligosaccharides increases intestinal absorption and status of magnesium in postmenopausal women. J Bone Miner Res. 2001 Nov;16(11):2152-60. PMID: 11697813.

12. Joshi AD, Corral R, Siegmund KD, Haile RW, Le Marchand L, Martínez ME, Ahnen DJ, Sandler RS, Lance P, Stern MC. Red meat and poultry intake, polymorphisms in the nucleotide excision repair and mismatch repair pathways and colorectal cancer risk. Carcinogenesis. 2009 Mar;30(3):472-9. Epub 2008 Nov 24. PubMed PMID: 19029193; PubMed Central PMCID: PMC2722151.

13. SAAQ: http://www.saaq.gouv.qc.ca/prevention/ceinture/index.php

9 commentaires

  1. Bonjour,
    Je vous suits depuis l’Australie et j’apprécie beaucoup vos articles.
    Question pour vous: auriez-vous une ressource à me recommander sur comment vivre avec et combattre un cancer du sein? Je cherche quelque chose qui engloberait alimentation,suppléments/vitamines, herbes, style de vie, méditation…
    Merci à l’avance.

  2. J’ai eu affaire à réfléchir sur cette question très importante et j’en suis arrivée à une telle conclusion… la tienne va encore plus loin.
    Je suis d’accord avec M. Pigeon.(ci-haut)
    Je crois que les gens qui lisent un tel blog intéressant sont déjà sensibilisés, mais COMMENT rejoindre les autres et surtout les TÊTES ou ceux qui ont de l’influence…la BONNE influence: celle qui travaille pour le peuple !

    C’est fou ! Ce qu’on appelle LA PRÉVENTION va jusqu’à donner régulièrement des FAUX POSITIFS ! La peur et le stress générés par ces tests et ses RÉSULTATS FAUSSÉS sont probablement plus ‘NOCIFS’ à la personne que la ‘supposée efficacité’ de ces tests !

    Dans le cas de tests ou de médicaments, certains cas nécessitent de telles interventions.
    Le problème ,c’est qu’il y a très possiblement des INTÉRÊTS $$$ qui conduisent à la SURprescription TROP FACILE et DISPENDIEUSE.

    Merci Jean-Yves et continuons de cultiver le GROS BON SENS pour ‘équilibrer’ les systèmes gouvernementaux et les intérêts commerciaux qui l’ont majoritairement perdu…

  3. WOW!
    J’ai bien appréciée cet article, le gros bon sens, tout simplement.
    Il faut croire que la définition du mot PRÉVENTION n’est pas la même pour tous….dommage…on perd notre temps et notre argent.

    1. Bonjour Micheline,
      Les prébiotiques se retrouvent, en gros, dans les sources de fibres solubles:
      Avoine et orge, oignon, fruits pulpeux dont la banane, topinambour, racine de chicorée (source de l’inuline), légumineuses.
      Ensuite dans les produits et aliments fabriqués, recherchez sur les étiquettes: FOS (fructo-oligosaccharides), arabinogalactan, inuline et gomme de guar hydrolysée.
      Voilà.
      JYD

  4. Bonjour Jean-Yves,

    Que voici un autre papier bien tourné ! Peut-être qu’à force de taper sur le clou, le message va passer. Si au-lieu de contempler l’arbre qui nous cache la forêt, nous allions faire une petite marche dans le bois ?
    Merci pour ces réflexions éclairées et pour cette obstination à gratter où ça démange !
    :o)
    Isabelle

  5. Y a-t-il quelqu’un de haut placé au Ministère de la santé au Québec qui lit vos articles ? Si non, il serait grand temps que des démarches soient entreprises afin de pallier ce manque !… Il est vrai que vous n’avez pas les moyens des lobbyistes des compagnies pharmaceutiques et des fabricants d’appareils médicaux pour défendre votre point de vue. Quel dommage ! ça serait pourtant fort bénéfique à l’ensemble de la population. Et ça aiderait peut-être à brider un budget faramineux qui n’en finit plus de grimper et qu’on ne pourra plus assumer bientôt.

    1. Bonjour,
      Ouvrez-moi la porte et j’y ferai mon baratin…
      À moins qu’il ne faille une commission d’enquête. 🙂 J’aimerais beaucoup que les bons yeux et les bonnes oreilles… bien placées dans les bonnes positions influentes entendent (ou lisent) mes propos, mais je partage votre scepticisme. Mieux vaut l’action individuelle de personnes bien informées. Une personne à la fois qui fait des actions pour elle-même et ses proches. Toutes ces personnes finissent par créer une masse importante. Seulement là, pouvons-nous espérer des changements.
      Merci
      Santé!
      JYD

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