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Dans l’édition de février 2014 du Journal de l’Association médicale canadienne, deux auteurs, GM Allan de l’Université d’Alberta et B. Arroll de Nouvelle-Zélande, ont fait paraitre les résultats de leur compilation de l’ensemble des études publiées sur les produits utilisés en prévention et/ou en traitement du rhume.(1) Le but annoncé: «rendre les preuves/données probantes compréhensibles» (making sense of the evidence). Leur objectif est louable en soi, mais leur démarche n’éclaire pas vraiment le sujet. En fait, elle le rend encore plus nébuleux…

Les auteurs ont un a priori, qui n’est pas véritablement énoncé dans leur papier, et qui fragilise grandement leurs résultats: ils postulent que les études publiées font foi de tout. Ou, si vous préférez, que si ce n’est pas prouvé, ça ne peut pas fonctionner. Cette façon d’appréhender la documentation est trop incomplète pour apporter un véritable éclairage sur le sujet étudié, particulièrement lorsqu’ils est question de produits de santé naturels ou de nutriments (voir Les études cliniques sont-elles les meilleurs outils pour évaluer les effets des nutriments?).

Se fier aux études?

Dans le cas des plantes médicinales, les erreurs de conception des études sont par trop fréquentes. Pour tirer des conclusions d’une étude sur une plante médicinale publiée dans les bases de données (Medline), il faut être capable de l’analyser pour déterminer si elle a été conçue adéquatement pour que ses résultats soient fiables. Il faut savoir si les chercheurs ont utilisé :

  • la bonne plante, la bonne variété;
  • la bonne dose;
  • des plantes fraiches ou séchées;
  • des plantes de culture biologique ou avec pesticides;
  • des plantes cueillies au moment où la concentration des actifs est optimale;
  • la bonne méthode d’extraction;
  • un produit existant validé ou un extrait maison non décrit correctement dans l’étude.

Tous ces facteurs font varier la concentration des actifs, la qualité de l’extrait et son efficacité. Cette réalité affecte autant les résultats des études que la qualité des produits sur les tablettes. Ce n’est pas parce qu’un produit a reçu son NPN (numéro de produit naturel) à l’aide d’une monographie de la DPSN (Direction des produits de santé naturels de Santé Canada) que son efficacité est garantie.

Le pire dans tout ça, c’est que les chercheurs omettent souvent de décrire le produit utilisé. Quand il s’agit d’un médicament, il est facile de s’y retrouver puisque le produit est simple: une molécule unique. Par contre, une plante ou un cocktail de nutriments ne présente jamais la même uniformité.

Produits pour le rhume

Revenons à nos moutons et examinons plus en détail quelques-uns des produits évalués dans l’étude sur le rhume.

L’échinacée

Selon les auteurs, l’échinacée n’est pas efficace.

Si on ne comprend pas la pharmacologie de cette plante, et surtout si on mélange les études qui ont utilisé un extrait de mauvaise qualité avec celles qui ont utilisé un bon extrait, il est tout à fait normal qu’on obtienne des réponses floues menant à la même conclusion que ces auteurs: ça ne fonctionne pas.

Pourtant, vous le savez, une plante est un complexe de substances aux potentiels variés. Si l’extrait que vous étudiez ne contient pas les bonnes molécules, l’étude ne peut pas donner de résultats valables. Ainsi, l’échinacée a fait l’objet de tout un lot d’études de mauvaise qualité. Par exemple, une étude effectuée en 2005 (2) a utilisé une dose trop faible (900mg) au lieu de la dose connue (3000mg par jour). Pas étonnant que les résultats aient été négatifs! D’ailleurs, dans cette étude, il n’y avait pas que la dose qui n’était pas adéquate. L’extrait lui-même ne contenait pas les bons marqueurs (molécules spécifiques à la plante)! (3) Tout ce qu’on peut conclure de cette étude, c’est qu’elle n’était pas destinée à prouver l’efficacité de l’échinacée. (voir aussi L’échinacée fait les manchettes)

Zinc

Dans l’étude qui nous concerne, le zinc a été classé comme probablement utile contre le rhume.

On constate que les possibilités de variation de ce produit sont limitées. Il existe bien plusieurs sels de zinc, mais du zinc, c’est du zinc. Par contre, on ne sait pas s’il est question de pastilles de zinc ou de comprimés; si les participants des études avaient une carence en zinc au départ ou non…

Lorsqu’on regarde les études bien faites, on peut conclure que le zinc est réellement utile. Il est particulièrement efficace contre les infections respiratoires, sous forme de pastilles. Les pastilles ont cependant un certain effet secondaire qu’il faut connaitre: le gout. Pour certains, ce gout est tellement rébarbatif qu’il cause la nausée, alors que d’autres ne le goutent même pas.

Vitamine D

La vitamine D ne serait pas efficace.

Cependant, la majorité des études sur la vitamine D dans la prévention des IVRS (infections des voies respiratoires supérieures) sont fautives:

1-    Soit les auteurs ne tiennent pas compte du taux sanguin;

2-    Soit les auteurs comparent le groupe avec supplément à un groupe qui n’est pas en carence.

Par exemple, l’étude publiée dans JAMA en 2012 arrive à la conclusion que la vitamine D n’a pas d’effet préventif.(4) Les auteurs ont pourtant donné une dose de vitamine D importante (200 000 UI par mois les 2 premiers mois, puis 100 000 UI par mois pour les 18 mois suivants.) Oui, mais… le taux sanguin du groupe contrôle (placébo) était de 29ng/ml +/- 9ng/ml (72,5nmol/l +/- 22,5nmol/l), donc un taux sanguin adéquat. Le groupe sous traitement a atteint 48ng/ml (120nmol/l). Ce taux est plus optimal, mais pour obtenir des résultats valables, il aurait fallu prendre des participants ayant des taux insuffisants au départ pour constater un effet des suppléments de vitamine D.

Ce genre d’étude n’apporte que de la confusion. Une fois compilée avec les autres, sans discernement, la résultante est évidemment que la vitamine D n’a pas d’effet préventif.(5)

Pourtant d’autres chercheurs arrivent à la conclusion que l’usage de la vitamine D (chez nous les nordiques ou chez les gens qui ont une carence ou un apport sub-optimal) procure un effet préventif des infections respiratoires d’environ 36% (OR: 0,64; IC 95%: 0,49 à 0,84). Le plus intéressant de l’analyse de ces auteurs est qu’ils ont porté une attention particulière aux types de posologies. Ils ont pu déterminer que des doses quotidiennes de vitamine D sont plus efficaces que des doses plus espacées (hebdomadaires ou mensuelles). En effet, la vitamine D quotidienne confère une réduction du risque de 49% (OR: 0,51), soit la moitié du risque, contre 14% (OR: 0,86) pour les autres posologies.(6)

Ginseng ou Cold-FX?

Selon les auteurs, le ginseng ne procure pas de bienfaits évidents.

Parmi les erreurs de généralisation retrouvées dans le texte du CMAJ, on retrouve une confusion entre le produit Cold-FX et le ginseng. Les auteurs ont mis dans le même panier les études sur un produit de ginseng asiatique (Panax ginseng CA Meyer) (Ginsana) contenant des ginsénosides et celles sur le Cold-FX, un extrait breveté de polysaccharides de ginseng américain (Panax quiquefolium) sans ginsénosides. Pouvaient-ils vraiment croire qu’il s’agissait de produits similaires?

Autres produits pour le rhume

Dans cette étude, plusieurs autres produits ont été trouvés non efficaces ou peu efficaces. Je ne les verrai pas en détail ici. Consultez Rhume et grippe d’homme! et Rhume et grippe d’homme! (2ème partie) pour avoir une idée des produits utiles pour le rhume et la grippe.

La science au service de la compréhension

Les études scientifiques sont des outils merveilleux pour améliorer la compréhension, mais il faut éviter les généralisations et les trop grandes simplifications. J’ai personnellement hâte de voir des documents de ce type où l’analyse sera faite par des gens qui comprennent la pharmacologie et la physiologie des produits étudiés, et surtout, j’ai hâte que la conclusion habituelle «nous avons besoin de plus études de meilleure qualité» soit véritablement entendue.

Santé!

Références:

  1. Allan GM, Arroll B. Prevention and treatment of the common cold: making sense  of the evidence. CMAJ. 2014 Feb 18;186(3):190-9. doi: 10.1503/cmaj.121442. PubMed PMID: 24468694.
  2. Turner RB, Bauer R, Woelkart K, Hulsey TC, Gangemi JD. An evaluation of Echinacea angustifolia in experimental rhinovirus infections. N Engl J Med. 2005 Jul 28;353(4):341-8. PubMed PMID: 16049208.
  3. Blumenthal M, Farnsworth NR. Echinacea angustifolia in rhinovirus infections.  N Engl J Med. 2005 Nov 3;353(18):1971-2; author reply 1971-2. PubMed PMID: 16267331.
  4. Murdoch DR, Slow S, Chambers ST, Jennings LC, Stewart AW, Priest PC, Florkowski CM, Livesey JH, Camargo CA, Scragg R. Effect of vitamin D3 supplementation on upper respiratory tract infections in healthy adults: the VIDARIS randomized controlled trial. JAMA. 2012 Oct 3;308(13):1333-9. doi: 10.1001/jama.2012.12505. PubMed PMID: 23032549.
  5. Mao S, Huang S. Vitamin D supplementation and risk of respiratory tract infections: a meta-analysis of randomized controlled trials. Scand J Infect Dis.  2013 Sep;45(9):696-702. doi: 10.3109/00365548.2013.803293. Epub 2013 Jul 2. PubMed PMID: 23815596.
  6. Bergman P, Lindh AU, Björkhem-Bergman L, Lindh JD. Vitamin D and Respiratory Tract Infections: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled  Trials. PLoS One. 2013 Jun 19;8(6):e65835. Print 2013. PubMed PMID: 23840373; PubMed Central PMCID: PMC3686844.  (texte complet accessible gratuitement)

16 commentaires

  1. Chapeau JY,

    Trop souvent on entend ce genre de discours de désinformation. Tous les ingrédients naturels ne sont pas bon pour tout. Il faut conserver son sens critique et son gros bon sens. Bonne plante, bonne méthode d’extraction et de fabrication, bonne concentration, contrôles de qualité des ingrédients qu’ils soient biologique ou non, étiquettes du produit clair et précise…

    Attention aux charlatants ils ne sont pas tous contre les produits naturels. Conservons notre vigilance.

  2. Dose hebdomadaire de vitamine D

    Je cite votre chronique : «Le plus intéressant de l’analyse de ces auteurs est qu’ils ont porté une attention particulière aux types de posologies. Ils ont pu déterminer que des doses quotidiennes de vitamine D sont plus efficaces que des doses plus espacées (hebdomadaires ou mensuelles). En effet, la vitamine D quotidienne confère une réduction du risque de 49% (OR: 0,51), soit la moitié du risque, contre 14% (OR: 0,86) pour les autres posologies.»

    Or un bulletin de PasseportSanté rapporte que, selon le Dr Vieth, la vitamine D sous forme liquide (et non mêlée à d’autres éléments) peut se prendre en doses hebdomadaires (7 fois 1000 UI), même mensuelles, capables d’assurer un apport constant. Un apport constant, peut-être, mais qui serait moins efficace d’après votre chronique. Les études que vous citez sont sans doute plus récentes que celle du Dr Vieth. Infirment-elles ce que dit le Dr Vieth?

    Richard Bourret

    1. Bonjour Richard
      Invalider ? je ne crois pas. Dr Vieth, un des grands experts mondiaux de la vitamine D basé à Toronto, mentionne la capacité du corps de stocker la vitamine D dans les tissus adipeux. C’est vrai. Par contre, on ne sait pas s’il est mieux, équivalent ou moins avantageux de prendre un supplément de façon quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle. Si on se fie à cette nouvelle référence, il semble que quotidien soit un peu plus efficace. J’aurais tendance à le croire. C’est pourquoi je l’ai écrit. Mais ce n’est que préliminaire. Pas absolu.
      À tout prendre entre une dose quotidienne qu’on oublie et une dose hebdomadaire qu’on prend, je proposerais sans aucun problème la dose hebdomadaire.
      Santé!

  3. Merci Jean Yves pour tes infos très pertinentes.
    J’ajouterais aussi… faut-il toujours un produit ?
    Et si pour une fois on ne faisait rien ! Mais intelligemment !
    Savoir aussi pourquoi j’ai le rhume,puis enlever les causes…
    Des petites aides quand on a fait des bêtises… c’est pas mal, surtout lorsqu’il n’y a pas de danger.
    J’ajouterais le thym citronné… qui pousse beaucoup dans ma montagne par exemple.
    A bientôt

    1. Bonjour Yolande
      D’accord avec vous. Pourquoi médicaliser, même naturellement, quand on peut, facilement s’autosoigner avec notre jardin.
      Santé!

  4. Merci Jean-Yves pour être notre éclaireur car pas évident pour des néophytes de s’y retrouver.

    J’avoue qu’il y a de l’argent à faire en faisant des promotions dans tous nos magazines, pub dans les circulaires, tout le monde veut être en santé….

    Même en faisant tout ce que nous devons faire, personne n’est demeuré immortel….

    Moi, je veux vivre en santé, sans médicament mais j’ai une génétique et ne peux rien y faire…

    Bonne fin de semaine!

  5. Merci pour cet article très intéressant…finalement, il n’y a rien de tel que d’essayer soi-même un produit donné afin de voir s’il fonctionne pour nous, n’Est-ce pas ? Moi aussi je me demande qui a financé cette étude ? Je viens de finir le livre Lait mensonges et propagande et je suis présentement dans Cholestérol mensonges et propagande et il m’apparait évident que les résultats diffèrent en fonction de qui commande et paie pour ces études. Pas facile pour nous…une chance qu’on a un site fiable comme le votre pour s’y retrouver.

  6. Encore un gros merci pour ta lucidité Jean-Yves, ce n’est pas facile de suivre la voie que tu prend mais tu gardes le cap pour nous informer!

    As tu de l’infos sur l’huile d’Oregano? De mon côté il y a de bons résultats.

    merci 😉

    1. Bonjour Harry
      À part le fait de ne pas prendre d’huile essentielle pure parce que ça brule. Qu’il n’y a aucune étude clinique malgré la popularité du produit, etc.
      L’huile d’origan est un antiseptique puissant avec des effets bactéricides et antiviraux documentés in vitro. Mais comme la plupart des huiles essentielles, je n’ai que la science de base. Donc, je crois que c’est utile mais je ne peux le « prouver ».
      Autre point, si l’odeur ne dérange pas, alors OK mais ça sent la pizza 🙂
      Santé!

    1. Bonjour Lucie
      Conflit d’intérêt ou conflit philosophique ? Les deux sont aussi nuisibles, insidieux et potentiellement dévastateurs.
      Santé!

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