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La médecine actuelle est dite basée sur les données probantes (evidence based medicine). Il s’agit d’une science très importante et très complexe. Par contre, cette science se doit d’être interprétée, tout comme la musique. La musique est un art d’interprétation qui se base sur une science exacte: les mathématiques (ou, si vous préférez, l’acoustique). Pourtant lorsqu’on va au concert, on n’écoute pas des équations. Au-delà des mathématiques, la qualité de la musique dépend de celle de l’interprète.

À mon avis, il en va de même avec la médecine. Autrefois, on parlait de l’art médical (et pour le pharmacien, de l’art médicamenteux). Entre la science médicale et l’art médical, quelle est la différence? Je dirais qu’elle se résume au facteur humain. La science médicale utilise beaucoup de mathématiques, de statistiques. Pourtant, nous, les patients, ne sommes pas des statistiques, des patients «moyens». Nous sommes tous différents. Et c’est là que l’art médical entre en jeu. L’art médical permet d’utiliser la statistique froide et mathématique et de l’interpréter avec le facteur humain, les particularités de chaque individu. Seul le facteur humain qu’apporte l’interprète (médecin ou autre) permet de passer à une relation thérapeutique humaine…

Gériatrie

Les gériatres (médecins spécialistes de la personne âgée) n’ont pas le choix de conserver une bonne dose d’humanité, de gros bon sens dans leur pratique. En effet, il n’existe que très peu, voire aucune étude clinique chez les personnes âgées. De plus, les données utiles chez les plus jeunes ne sont pas transférables aux personnes âgées parce que, que l’on soit en santé ou malade, nos fonctions biologiques se modifient avec le vieillissement:

  • Les contrôles (autorégulation ou homéostasie) sont moins précis;
  • Certaines fonctions sont plus fragiles;
  • La récupération se fait moins vite;
  • Etc.

Ces différences sont tellement importantes que l’on a fait de la gériatrie une spécialité de la médecine. Avec l’extension de la vie et le fait que de plus en plus de gens sont en forme plus vieux, le centre d’intérêt de la gériatrie se déplace des personnes du 3e âge (à partir de 65 ans) vers les personnes du 4e âge (à partir de 80 ans). L’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM) développe l’expertise à ce sujet et offre des formations aux professionnels de la santé.

Lors d’une formation à laquelle je participais, une gériatre a énoncé un principe qui m’a frappé: chez une personne âgée, lorsqu’un problème de santé apparaît sans cause apparente, cherchez le médicament coupable et enlevez-le!

Et c’est tellement vrai!

Traiter les personnes âgées

Il est par trop fréquent de voir les personnes âgées se faire traiter de façon inadéquate à cause d’erreurs de conception:

1-    L’âgisme est cette façon que nous avons de classer les gens comme «trop vieux». Trop vieux pour guérir, trop vieux pour faire un effort, trop vieux pour décider par lui-même, etc. L’âgisme est comme le racisme: un préjugé. Les personnes âgées peuvent souvent faire beaucoup plus que ce qu’on pense.

2-    À l’opposé, il ne faut pas non plus chercher à traiter une personne âgée comme on le ferait pour un jeune, tant du point de vue médical que des autres points de vues, tel l’environnement. Leur métabolisme, leurs fonctions et capacités ne sont plus les mêmes. Un exemple de traitement inapproprié est l’entêtement de certains à vouloir donner un médicament pour le cholestérol à des personnes de 80 ans n’en ayant jamais pris. C’est absurde! Personne ne peut prouver qu’un taux élevé de cholestérol à cet âge augmente le risque de maladie cardiaque et de décès. Alors pourquoi donner un médicament qui est couteux et n’est certes pas sans effet secondaire?

Le but du traitement médical chez quelqu’un qui a dépassé l’espérance de vie n’est pas d’augmenter cette espérance. Augmenter par rapport à quoi? Non, le but du traitement est d’améliorer la qualité de vie. Point!

La Société américaine de gériatrie a justement publié une liste de 10 points à discuter pour les médecins et leurs patients. Cette liste nommée Choosing wisely (choisir avec sagesse) a le mérite de remettre les pendules à l’heure. Voici quelques éléments de cette liste:

1-    Pour les personnes atteintes de démence (Alzheimer ou autres), évitez les antipsychotiques pour les troubles comportementaux. Ces derniers sont associés à beaucoup de toxicité alors que les méthodes non pharmacologique, ou simplement les vitamines (Personnes âgées: médicamenter ou supplémenter?) sont plus sécuritaires.

2-    Pour les personnes diabétiques, ne cherchez pas un contrôle trop étroit de la glycémie ou de l’hémoglobine glyquée. Un contrôle plus ample (qui permet plus de variation de l’hémoglobine A1c <7,5%) est plus sécuritaire. Les hypoglycémies sont plus dommageables que les hyperglycémies.

3-    Ne pas utiliser de tranquillisants (benzodiazépines) pour l’insomnie. Ces médicaments peuvent causer des dépendances, des troubles d’équilibre (facteur de risque de fractures, entre autres) et des pertes de vigilance.

4-    Ne pas prescrire d’inhibiteur de la cholinestérase (médicament pour l’Alzheimer) sans penser aux effets secondaires. Les bénéfices sont mineurs et les effets secondaires peuvent être importants. Ces médicaments ne changent pas la progression de la maladie (dégénérescence neurologique), ils ne font que diminuer temporairement les symptômes.

5-    Ne pas recommander de tests de dépistages pour les différents cancers. Par exemple, pour sauver une seule mort par cancer de la prostate sur 11 ans (un cancer qui ne tue pas les personnes âgées), il faudrait tester annuellement 1055 personnes et en traiter 37! Donc, sur une période de 11 ans, 407 patients devront subir les effets secondaires du traitement et une perte de qualité de vie pour donner une chance à une personne (qui subira la même perte de qualité de vie) de vivre quoi, quelques mois de plus?

6-    Ne pas prescrire de nouveau médicament sans d’abord réviser les médicaments utilisés. Celui-ci se passe de commentaire!

Cette liste n’est que partielle, mais elle relève du gros bon sens. Il faut répandre ce gros bon sens et l’appliquer aussi aux personnes des 3 premiers âges. Si on apprend à se détacher des dogmes de prescription et qu’on réinstaure l’art médical, peut-être que les frais de notre ministère de la maladie finiront pas baisser sous la barre des 50% des dépenses de l’état…

Santé!

22 commentaires

  1. J’ai une longue pratique en soins infirmiers et en psy. Maintenant, même si je déteste les catégories d’âge, disons que j’y suis. J’ai l’impression qu’on essai de me tuer aux pilules. Je tente de gérer tout cela en n’offusquant pas mon médecin que j’aime. Et, c’est très difficile, j’aimerai en découvrir un qui est contre les statines et qui serait dans le cadre d’une étude et suivi. Je me suis donnée une limite d’âge pour tout mettre à la poubelle. En attendant je `trafic’ un peu les prises………..

    1. Bonjour Marie
      Si vous n’avez pas d’autre chose que des LDL élevés, on peut de façon légitime mettre en doute l’usage des statines en première ligne.
      Santé!

  2. Bravo pour l’article.
    Ayant travaillée dans ces milieux et avec différents groupes d’âges, il reste que j’ai pu constaté que l’ECOUTE et de passer à la médication adaptée à chacun, même si ce n’est qu’une simple tisane relaxante soulagent bien des bobos. A tous âges on a besoin de se faire rassurer et soigner individuellement selon nos croyances. Une pilule pour dormir ne devrait être donnée qu’au besoin, ce qui éviterait la dépendance et les chutes.

    Marie-Anna

  3. Pour moi ça devrait s’appliquer à la médecine en générale mais c’est effectivement encore plus vrai dans le cas des personnes âgées.

    Bravo pour cet article qui remet les pendules à l’heure.

  4. le pire ce sont les statines qu’on prescrit comme des bonbons dès que le taux de cholestérol augmente un peu. On baisse le taux acceptable de manière continuelle pour justifier d’en prescrire encore plus. Ces produits ont des effets secondaires majeurs.
    On peut lire MORT SUR ORDONNANCE, un ouvrage éclairant sur la question des prescriptions de médicaments à outrance.

  5. Comme un vent chaud après un hiver froid; il m’est tellement agréable de te lire, Jean-Yves. Quelle belle attitude tu as face à la santé, face à la sagesse de la nature, face aux limites de la méthode scientifique. Merci de la partager. Je souhaite que plusieurs professionnels de la santé s’en inspirent.

  6. Quel beau texte pour inspirer les gériatres et toutes personnes ayant une fonction auprès de nos personnes âgés. Les poignées de pilules seraient peut-être moins importantes et la qualité de vie meilleure.

  7. Bonjour Jean-Yves,
    bravo pour votre travail de sensibilisation. Vous nous donnez l’heure juste sur plusieurs aspects de santé et c’est réconfortant. Concernant votre article, est-ce que je m’avance trop si je dis que l’art médical devrait avoir priorité sur les compagnies pharmaceutiques qui font de la représentation auprès des médecins pour qu’ils utilisent leurs produits? Sans compter que c’est peut-être payant pour certains médecins de prescrire les dits médicaments…et on oublie le côté humain du patient.!

    1. Concernant le lien entre les pharmaceutiques et la médecine le livre « Bad Pharma » est d’un intérêt énorme. Je ne crois pas qu’il soit encore traduit.

    2. Bonjour Carole
      Je doute beaucoup que ce soit payant pour le médecin d’agir ainsi mais ce l’est certainement pour les fabricants.
      Santé!

  8. Que s’est-il passé au Québec depuis les 50 dernières années pour que le système médical soit si mal en point? J’ai le goût de dire que la médecine préventine a été mis de côté au détriment de tous les autres facons de traiter la maladie et non le patient. Bref je persiste et signe que nous devrions aller voir ce qui se passe ailleurs. Que ce soit en Ontario ou en France et de s’en inspirer. Mais je doute que soit dans les cordes de nos gouvernants de toute allégeance et on va voir de plus en plus des mouroirs. Si j’avais 30 ans de moins je brandirais les pancartes pour dénoncer le système en place

    1. Bonjour Laflamme
      Si j’en rajoute : le système de maladie en place coute 60% du budget du Québec (dépenses et immobilisation)… Si une personne dépense 60% de ses revenues sur la maladie… elle doit être vraiment malade.
      Santé… quand même.

  9. WOW, bravo Jean-Yves, quel bel article, svp le faire publier dans les médias écrits et sociaux !!!! ça provoquera des interactions et c’est tant mieux !!!

    Bonne fin de semaine !

  10. Merci pour ces précisions! J’aimerais savoir si une dame de 82 ans diabétique bien contrôlée, avec un cholestérol élevé pourrait décider d’arrêter les statines. Elle a de la faiblesse et des douleurs. Je ne suis pas certaine que le docteur va l’encourager… En plus, elle est presque totalement végétalienne.

    1. Les statines réduisent le risque d’infarctus et d’ACV chez les diabétiques. Je ne connait pas la force des preuves après 80 ans. Ils ne réduisent pas le risque à zéro. Certaines personnes ont moins de douleurs musculaires sans statines, mais pas toutes. Le choix de prendre un traitement revient à la personne qui le prendra, le médecin préférant s’assurer que le patient comprend les avantages du traitement fait consciencieusement son travail. Celui qui empeche le patient de choisir outrepasse à mon avis ses droits.

    2. Bonjour Sylvie
      Vous savez que je ne peux pas répondre directement à cette question. Par contre, saviez-vous que le cholestérol élevé chez les personnes du 4e âge est un facteur de longévité 😉
      Santé!

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Pour vous, je garde un pied dans la science et l’autre dans le gros bon sens.