• Recherche

Une récente méta-analyse jette un doute sérieux sur la pertinence de la vitamine D en prévention des chutes chez la personne âgée.1 En effet, les résultats de Bolland et collaborateurs semblent montrer que, non seulement la vitamine D ne serait pas utile, mais qu’elle pourrait même aggraver la situation…

Après lecture de l’étude, je dois avouer que l’argumentation des auteurs est convaincante et que je n’y vois pas de biais défavorable. Les questions soulevées par cette méta-analyse sont donc très pertinentes. Je vous présente ci-dessous mes commentaires sur ce dossier.

Première étude d’envergure négative

L’étude clinique de Sanders et al, publiée en 2010, a été la première étude d’envergure (n=2256) à attaquer le principe de la prévention des chutes par la vitamine D chez la personne âgée.2 Dans cette étude, on a donné un bolus de 500 000 UI oralement ou un placébo, une fois annuellement, à un groupe de personnes âgés de 70 ans et plus.

Les résultats pointent vers un effet nul de la vitamine D, et peut-être même promoteur des chutes (74% vitamine D vs 68,4% placébo).
Le graphique ci-dessous montre que, avec la mégadose, le taux de vitamine D augmente à environ 125 nmol/L et diminue assez rapidement par la suite.

Taux sanguin de vitamine D après bolus annuel

Source: Sanders at al. JAMA. 2010.2

Traitement par bolus annuel

Plusieurs auteurs se méfient de cette approche, très populaire en Europe, de donner une seule dose par année. Le graphique ci-dessus montre le problème de variabilité des taux sanguins. De plus, Dalle Carbonare et collaborateurs remettent en question la pertinence de ces très hautes doses et doutent même de leur innocuité.3 Ces dosages seraient moins efficaces et potentiellement plus toxiques, surtout chez les enfants et les personnes âgées (à cause des différences de métabolisme à ces âges). Même son de cloche par John Cannell sur Vitamin D Council.4

Question de dose

Comme mentionné dans l’article publié sur Medscape au sujet de la méta-analyse de Bolland et collaborateurs, 70% des groupes traités quotidiennement prenaient des doses inférieures ou égales à 1000 UI par jour.5 Était-ce suffisant pour que le taux sanguin de vitamine D (25-OHD) atteigne un niveau thérapeutique?

De plus en plus d’auteurs et d’organismes soutiennent que la notion de dose adaptée au poids de la personne est beaucoup plus rationnelle qu’une dose fixe, si importante soit-elle.6,7 Les recommandations varient entre 50 et 75 UI/kg/jr (donc 3000 à 4500 UI par jour pour une personne de 60 kg, par exemple).

L’effet de dilution expliquerait le lien étroit entre le poids des participants et le taux sanguin obtenu.8,9

Question de taux sanguin

Selon les travaux de Heike Bischoff-Ferrari, un taux sanguin minimal de 110 nmol/L serait nécessaire pour conférer une réelle protection contre les fractures (voir la ligne verte dans le graphique ci-dessous) et les chutes.10

Vitamine D, taux sanguin et risque de fracture

Traduit de Bischoff-Ferrari. Adv Exp Med Biol. 2008.10

L’étude de Shuler et collaborateurs, publiée en 2012, indique quant à elle qu’un taux sanguin de 125 nmol/L est nécessaire pour la prévention des fractures de stress chez l’athlète.11

En ce qui concerne la méta-analyse, Bolland et collaborateurs notent que 91% des essais cliniques ont atteint un taux sanguin de 50 nmol/L et plus, et que 58% ont atteint un taux de 75 nmol/L. On peut donc se demander si les taux obtenus dans les études compilées dans leur méta-analyse sont généralement suffisants pour l’obtention d’un effet thérapeutique.

Autre étude négative

L’étude la plus perturbante à propos de la vitamine D et des chutes est celle de Smith et collaborateurs (n=273; 163 caucasiennes; 110 afro-américaines).12 Cette étude montre une courbe en U où le risque, pour les caucasiennes, est plus élevé dans les doses plus faibles ET dans les doses élevées. L’effet bénéfique maximal serait obtenu entre 1600 à 3200 UI/jr et le risque augmenterait au-delà de 4000 UI/jr. Cette relation ne semble pas s’appliquer aux afro-américaines.

Dose de vitamine D vs % chutes

Source : Smith et al. J Steroid Biochem Mol Biol. 2017.12

Il faut ici souligner un détail: Les personnes ayant un historique de chute sont celles qui présentent la plus grande variation dans le nombre de chutes durant l’étude, ainsi qu’une augmentation significative des chutes à hauts dosages (voir le graphique ci-dessous).

Pourcentage de chutes selon l'historique de chutes

Source : Smith et al. J Steroid Biochem Mol Biol. 2017.12

Notez également que, dans ce tableau, l’association entre la dose et les chutes n’est pas significative (p=0,27) chez les personnes n’ayant pas d’historique de chute (colonne en gris).

Facteur confondant?

Les résultats de cette étude peuvent pointer vers un facteur confondant. En effet, les chutes survenues en amont de l’intervention avec la vitamine D peuvent être dues à des problèmes qui ne sont pas modulés par la vitamine D. Ainsi, des problèmes de vue, des troubles neurologiques dégénératifs, des problèmes moteurs, notamment la maladie de Parkinson, etc. sont tous des états pathologiques qui peuvent causer des chutes, mais ne répondent pas à une simple supplémentation en vitamine D. Il est donc probable que, dans une bonne partie de la population ayant déjà un historique de chute, la vitamine D ne puisse renverser la tendance.

Pour réduire le risque de chute, Ralph Campbell MD propose une approche beaucoup exhaustive qui prend en considération différents paramètres et nutriments potentiellement impliqués dans les chutes chez la personne âgée. La vitamine D n’y est qu’un aspect parmi plusieurs autres.13

Conclusion

Si j’avais aujourd’hui à piloter une étude sur les effets de la vitamine D sur les chutes et fractures, je m’assurerais de tenir compte de tous les facteurs suivants :

  • Les facteurs confondants (autres causes de chute dont la médication, les troubles de l’équilibre et de la vue et certaines maladies);
  • La relation taux sanguin / effet, en m’assurant d’obtenir des taux sanguins supérieurs ou égaux à 110 nmol/L chez au moins une partie des participants;
  • La différence entre le taux sanguin de base et celui suite à l’intervention;
  • Une dose individualisée selon le poids;
  • Le maintien du taux sanguin dans le temps : idéalement une dose quotidienne, mais surtout pas un bolus annuel;
  • Les cofacteurs de la vitamine D. En effet, il faut être conscient que la vitamine D n’est qu’une intervention parmi bien d’autres lorsqu’il est question de chutes et de fractures, surtout chez la personne âgée.

Les publications se suivront et plusieurs arriveront à des effets non significatifs tant que tous ces facteurs ne seront pas pris en considération, et particulièrement que les taux sanguins obtenus ne seront pas suffisamment élevés.

Contrairement à ce que semble penser Gallagher dans son éditorial, cette méta-analyse est loin de clore le dossier.14 Ici, comme pour de nombreux autres produits naturels, ces données négatives doivent être prises en considération sans perdre de vue leurs limitations, les autres données scientifiques disponibles, et le ratio risque / bénéfice pour le patient selon son état et ses facteurs de risques, incluant l’âge.

Un autre article qui traite de la vitamine D

Ma formation sur la santé des os

Pour en savoir plus sur la vitamine D, le risque de chute et le risque de fracture, consultez le « Concentré de santé » Santé des os sur Humain 360

Références

  1. Bolland MJ, Grey A, Avenell A. Effects of vitamin D supplementation on musculoskeletal health: a systematic review, meta-analysis, and trial sequential analysis. Lancet Diabetes Endocrinol. 2018 Oct 4. pii: S2213-8587(18)30265-1. doi: 10.1016/S2213-8587(18)30265-1. (Epub ahead of print) PubMed PMID: 30293909. https://www.thelancet.com/journals/landia/article/PIIS2213-8587(18)30265-1/fulltext
  2. Sanders KM, Stuart AL, Williamson EJ, Simpson JA, Kotowicz MA, Young D, Nicholson GC. Annual high-dose oral vitamin D and falls and fractures in older women: a randomized controlled trial. JAMA. 2010 May 12;303(18):1815-22. doi:10.1001/jama.2010.594. PubMed PMID: 20460620. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/185854
  3. Dalle Carbonare L, Valenti MT, Del Forno F, Caneva E, Pietrobelli A. Vitamin D: Daily vs. Monthly Use in Children and Elderly-What Is Going On? Nutrients. 2017 Jun 24;9(7). pii: E652. doi: 10.3390/nu9070652. PubMed PMID: 28672793; PubMed Central PMCID: PMC5537772. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5537772/
  4. Cannell J. Why is daily dosing of vitamin D important? https://www.vitamindcouncil.org/why-is-daily-dosing-of-vitamin-d-important/
  5. Vitamine D : pas d’effet sur les fractures, les chutes et la minéralisation osseuse – Medscape – 8 oct 2018. https://francais.medscape.com/voirarticle/3604470?faf=1&src=soc_fb_100818_mscpmrk_frp#vp_2
  6. https://vitamindwiki.com/Need+75+IU+vitamin+D+per+kg+of+body+weight+%28volume+dilution%29+–+March+2013
  7. https://www.vitamindsociety.org/press_release.php?id=18
  8. Drincic AT, Armas LA, Van Diest EE, Heaney RP. Volumetric dilution, rather than sequestration best explains the low vitamin D status of obesity. Obesity (Silver Spring). 2012 Jul;20(7):1444-8. doi: 10.1038/oby.2011.404. PubMed PMID: 22262154. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1038/oby.2011.404
  9. Vanlint S. Vitamin D and obesity. Nutrients. 2013 Mar 20;5(3):949-56. doi: 10.3390/nu5030949. Review. PubMed PMID: 23519290; PubMed Central PMCID: PMC3705328. https://www.mdpi.com/2072-6643/5/3/949
  10. Bischoff-Ferrari HA. Optimal serum 25-hydroxyvitamin D levels for multiple health outcomes. Adv Exp Med Biol. 2008;624:55-71. doi: 10.1007/978-0-387-77574-6_5. Review. PubMed PMID: 18348447. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18348447
  11. Shuler FD, Wingate MK, Moore GH, Giangarra C. Sports health benefits of vitamin d. Sports Health. 2012 Nov;4(6):496-501. doi: 10.1177/1941738112461621. Review. PubMed PMID: 24179588; PubMed Central PMCID: PMC3497950. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3497950
  12. Smith LM, Gallagher JC, Suiter C. Medium doses of daily vitamin D decrease falls and higher doses of daily vitamin D3 increase falls: A randomized clinical trial. J Steroid Biochem Mol Biol. 2017 Oct;173:317-322. doi: 10.1016/j.jsbmb.2017.03.015. PubMed PMID: 28323044; PubMed Central PMCID: PMC5595629. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5595629/
  13. Campbell RK. Preventing Falls, A serious matter: One in four falls in the elderly proves fatal. http://orthomolecular.org/resources/omns/v14n24.shtml
  14. Gallagher JC. Vitamin D and bone density, fractures, and falls: the end of the story? Lancet Diabetes Endocrinol. 2018 Oct 4. pii: S2213-8587(18)30269-9. doi: 10.1016/S2213-8587(18)30269-9. (Epub ahead of print) PubMed PMID: 30293910. https://www.thelancet.com/journals/landia/article/PIIS2213-8587(18)30269-9/fulltext

2 commentaires

  1. Bonjour Jean-Yves,

    Concernant le ratio oméga 6 / oméga 3, je sais que les viandes nourries industriellement aux grains de maïs et aux tourteaux de soya peuvent avoir un ratio jusqu’à 12 : 1 comparativement à celles provenant d’animaux nourris aux herbes et fourrages qui ont un ration d’environ 3 : 1 en faveur des acides gras oméga 6. Est-ce qu’il est vrai qu’il ne faut pas manger davantage ou même autant de gras oméga 3 sous prétexte qu’un ratio idéal oméga 6 / oméga 3 se situerait plutôt à environ 3 : 1 ou 4 : 1 , soit 3 à 4 fgois plus d’acides gras oméga 6 que d’acides gras oméga 3 ? Exemple : 8 g oméga 6 pour 2 g oméga 3. L’équilibre idéal étant donc tout de même toujours en faveur d’un penchant évident pour
    les acides gras oméga 6. Merci pour votre réponse grandement appréciée !

    Bonne Journée Santé !

  2. Bonjour Jean-Yves,

    Est-ce que vous avez une idée approximative du ratio oméga 6 oméga 3 des fromages comme le Oka, le Jarlsberg, le Suisse, l’Emmental ou autres en général, de même que celui des yogourts gras que ce soit 6 % mat. gras ou comme celui de Liberté méditerranée nature 10 % ? Selon vous, est-ce 8:1 12 :1 ou voire même davantage que cela oméga 6 / oméga 3

    Car cette information n’est pas disponible sur les divers tableaux des valeurs nutritives des aliments. On n’y inscrit que les quantités en g des gras totaux dont ceux saturés et trans, mais non ceux monoinsaturés et polyinsaturés, j’ignore au fait pourquoi ou si on ne veut tout simplement pas les dévoiler. Comme par exemple, sur 6 g de lipides totaux, 4 g de saturés, 0,2 g trans, mais le 1,8 g restant, il est passé où ou réparti comment le reste ….. ! ? Mystère et boule de gomme !

    Merci à l’avance pour votre réponse grandement appréciée !
    Bonne Journée Santé !

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.

*

Pour vous, je garde un pied dans la science et l’autre dans le gros bon sens.